Croquant tranquillement d'après une photo de Pierre Pascual, suant sur le costume d'Arlequin, triturant les carreaux et les couleurs, les mains noircies par le crayon, les doigts arc-en-ciel, m'est venue en tête le poème d'Arthur Rimbaud "Voyelles". Il m'a accompagnée durant tout le croquis. Quelle est la couleur du A? et celle du O? Quelle est la couleur du do? et celle du fa?
Comme un air inattendu qui s'est glissé sous la gomme, a longé le baton de bois du crayon, s'est couché sur le papier...
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,
Golfes d'ombre ; E, candeur des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;
U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;
O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silence traversés des Mondes et des Anges :
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux ! -
Arthur Rimbaud
J'aime ce texte qui associe les sons et les couleurs. Il sied particulièrement à ce crobard, ébauche d'une toile en cours où les doigts ont trempé dans la couleur posée là, comme un clavier, où chaque touche, de noire et blanche se métamorphose en une palette de couleurs vibrantes et dansantes.
Cette peinture prend du temps, et c'est une première pour moi. Attendre qu'une couleur sèche pour en poser une autre. Ne pas faire de fondu, mais des contrastes bien évidents. Ne pas dépasser les bords de chaque carreau. Conserver l'énergie qui se dégage du personnage. Faire déborder cette énergie de la musique vers la couleur.
La toile prendra sa place ici, bientôt, pour le moment elle est posée sur le chevalet, et reçoit, chaque jour, un nouveau coup de pinceau.
Librement, j'y jetterai mes couleurs primitives. A ne sera pas noir mais sera rouge. E ne sera pas blanc mais orange. I ne sera pas rouge mais jaune. U restera vert. O restera bleu et infini; étonné, il s'échapera des lèvres comme un dernier souffle, ou comme les premières paroles d'une chanson. Le noir et le blanc seront pour l'Y que je ne veux pas omettre, et, parce qu'il est batard, il se dissimulera dans le collier.
Pierre Pascual est musicien, c'est peut-être pour ça que j'ai entendu des sons différents pour chaque couleur?
Le site de Pierre Pascual (en concert le 23 mai 2010 au Bataclan): lien vers le site de Pierre Pascual
La toile, en juin 2010: